• Pronostic vital engagé ?

    Pronostic vital engagé ?Il y a un gros malaise dans la Santé, et ce n'est pas d'hier. Dernièrement, les personnels de Janet n'ont eu d'autre solution pour attirer l'attention sur les problèmes de l'hôpital psychiatrique, que de manifester lors d'une réunion du conseil municipal, alors que cela fait longtemps qu'ils alertent les pouvoirs publics, l'Agence Régionale de Santé (ARS) en particulier.

    Lors de la manifestation du 22 mars, le personnel gréviste de l'hôpital était encore en pointe, en tête de manif.

    A la prochaine assemblée plénière du conseil régional, le 9 avril, la directrice de l'ARS est invitée, pour exposer l'état de la santé dans la région et répondre aux questions des conseillers et conseillères.

    Pour préparer cette réunion, j'ai rencontré vendredi dernier, 23 mars, pendant une heure et demie, des militant-e-s de Sud Santé qui m'ont brossé un portrait de l'état de l'hôpital public au Havre.

    COMPTE RENDU - RENCONTRE AVEC SUD SANTÉ-SOCIAUX - CENTRE HOSPITALIER DU HAVRE - 23/03/2018

    J'ai rencontré dans les locaux de Sud Santé, Sandrine (infirmière psychiatrique), Alain (adjoint administratif, élu du personnel), Yann (aide-soignant en psychiatrie - élu) et Pierre (infirmier, élu). Ils et elle m'ont brossé le tableau suivant de la situation à l'hôpital. Comme on va le voir, le bilan n'est pas brillant. Nul doute qu'une mobilisation de tous et toutes sera nécessaire pour défendre la qualité de soin, améliorer la prise en charge et les conditions de travail dans l'hôpital public. Car ce qui est valable à Janet l'est aussi pour l'hôpital psychiatrique de Saint-Etienne-du-Rouvray, en grève depuis une semaine. Ce qui est valable pour Monod l'est aussi pour Charles-Nicolle ou d'autres hôpitaux dans la région ou ailleurs.  

    Je cède la parole aux quatre syndicalistes de Sud Santé du Havre :

    Ambiance générale :

    La situation s'est  dégradée. D'après les personnes que j'ai rencontrées, beaucoup de personnels envisagent de quitter le métier, lorsque ce n'est pas déjà fait. C'est une situation que l'on ne trouvait pas il y a encore 10 ans, où l'amour du métier primait encore sur les difficultés. Ce n'est plus toujours le cas aujourd'hui. C'est une année où, pour la première fois, on sent que cela réellement craquer.

     Aux urgences médico-chirurgicales :

    Les urgences étaient à l'origine dimensionnées pour 80 passages/jour. Aujourd'hui on en est à 130-140 passages par jour, avec des pointes à près de 200. De 30000 passages annuels, on en est actuellement à 45000. Entre autres car les urgences pallient le manque criant de médecins généralistes, de médecins spécialisés et de permanence de soins le soir, la nuit et les weekends.

    Or depuis 2010 les effectifs sont restés parfaitement stables. En période de tension, l'hôpital a recours à du personnel précaire, embauchés en contrats  dits "57 jours" mais bien souvent inférieurs à cette durée, alors que la formation minimale dure 30 jours ! Le personnel titulaire n'en peut plus de recommencer à former du personnel qui ne reste pas. Certains contrats sont de très courte durée : 24 ou 48h !

    On constate également une afflux de personnes âgées, voire très âgées (90 ans et plus), renvoyées aux urgences publiques par les cliniques qui se disent "non spécialisées".

    Aux urgences, l'intensification du travail est telle qu'il n'y a plus de moments où le personnel soignant, et particulièrement infirmier, peut décompresser, même chez soi. Le passage en 3x8, en 5 équipes, voulu par le personnel et refusé par les syndicats conscients des dangers, n'a fait qu'empirer les choses. Les personnels pensaient qu'il y aurait des moments où le travail serait moins lourd (la nuit, ou en fin de journée). Or ce n'est pas le cas et c'est l'épuisement qui guette.

    Le turn-over et la pression est telle que 40% du personnel est jeune. Mais là où auparavant, les plus anciens avaient le temps de prendre en charge et d'étayer les jeunes, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les anciens n'en ont plus ni le temps ni la force. Dans certains services, les plus anciens n'ont que 2 ou 3 ans de service ! Il en résulte une dangerosité accrue au travail, tant pour le personnel que pour les usagers.

    Le spectre de la collègue suicidée en juin 2016, qui pensait avoir fait une erreur alors qu'il n'en était rien, plane toujours et revient de plus en plus dans les discussions entre collègues.

    Dans les services  :

    On constate une baisse massive du nombre de lits : 90 lits ont été fermés, l'objectif affiché étant "Zéro nuit d'hospitalisation", grâce au développement à marche forcée de l'ambulatoire, présenté comme la conséquence des progrès techniques. Ce développement de l'ambulatoire, sous couverts de soins moins intrusifs et moins traumatisants, cache mal la volonté de réduction des coûts salariaux.

    Pour pallier le manque de lits, on définit des périodes de tensions, pendant lesquels on ouvre exceptionnellement des lits supplémentaires : d'abord 12 lits (4 dans trois structures) puis 1/2 service, puis un service entier de 24 lits. Cette montée progressive a lieu tous les ans, de janvier à fin mars au moins. Bien entendu, ce service supplémentaire est ouvert au moyen de personnels redéployés, en provenance d'autres services, complétés par des personnels contractuels embauchés à cet effet.

    La création du Groupe Hospitalier de Territoire (GHT) a lié au GHH, hôpital support, les hôpitaux de Lillebonne, Fécamp et Pont-Audemer. Pont-Audemer est d'ores-et-déjà dirigé par le GHH. Le bassin concerné par le GHT est de 452000 habitants. Dans ce bassin, tous les hôpitaux publics - hormis le GHH -se sont vus contraints par les autorités sanitaires à abandonner leur activité chirurgicale au privé, sous prétexte de préserver leur existence !

    Ceci, allié au manque criant de médecins généralistes, et à l' absence quasi-totale de maisons ou centres de santé crée dans la pointe de Caux une situation sanitaire identique à la Seine-Saint-Denis. Voir la carte ci-dessous. Bizarrement, les nouveaux zonages définissant des zones prioritaires (carte 2) n'intègrent pas les secteurs les plus déficitaires de la pointe de Caux, hormis Les secteurs d'Etretat, Lillebonne et Cany-Barville/Saint-Valéry-en-Caux…

    Pronostic vital engagé ?

    Légende

    carte 1 : les déficits médicaux en Seine-Maritime

    Pronostic vital engagé ?

    carte 2 : les nouveaux zonages de l'ARS, pour la Seine-Maritime. En foncé les zones prioritaires,

    en clair les zones complémentaires.

     

    Partie Obstétrique :

    Le Pôle Femme-Mère-Enfant (PFME) a été surdimensionné, avec un objectif de 4000 accouchements par an alors que la baisse de la natalité à nouveau en œuvre depuis quelques années n'a conduit qu'à un peu plus de 3000 accouchements l'année. A l'origine, l’ARS s’était engagée à hauteur de 5,2 M€ par an, jusqu’en 2037, pour le financement du PFME qui a coûté 90 M€. Or, celle-ci s'est désengagée fin mars 2017, sous prétexte "d'harmonisation" des crédits entre ex-haute et ex-basse Normandie. Il en résulte une crise de trésorerie, au point que le budget de l'hôpital a été voté cette année avec un déficit prévisionnel de 9 millions d'euros. Le déficit cumulé est actuellement de 50 millions d'euros ce qui représente 60% du budget en taux d'endettement.

    Le secteur "sages-femmes" est en crise, au point qu'on leur demande de piloter la restructuration de leur service c'est-à-dire, en clair, de scier la branche sur laquelle elles sont assises.

    A noter la fermeture annoncée de la maternité de Bernay.

     

    En Psychiatrie :

    La crise est sans précédent. Une particularité de Pierre Janet est d'avoir été conçu dès l'origine (en 1970) comme un centre spécialisé, indépendant de l'hôpital, ce qui permettait de recevoir les patients dans un cadre plus adapté. Pierre Janet représente 25% des lits de l'hôpital. Les robinets "financiers" ont été fermés dans les années 90. Or la patientèle, à cause de la crise économique et sociale, est en constante augmentation : +184% de consultations et +120% d'occupation des lits entre 2014 et 2018. En plus des 220 lits pérennes, 30 lits supplémentaires sont ouverts en permanence toute l'année, sans que les locaux soient adaptés, et sans personnel supplémentaire bien entendu. Les chambres à 2 lits se sont vues rajouter un lit. Il y a donc des chambres avec des espacements entre les lits de 10 centimètres, avec 2 placards pour 3, etc… Il n'est pas rare que sur une semaine d'hospitalisation, des patients "visitent" quatre services différents, sans même souvent voir un médecin ! A cause du numérus-clausus, il y a en effet un très faible renouvellement des médecins psychiatres, et une répartition inégalitaire entre Le Havre et Rouen.

    Ici encore, le périmètre d'activité s'est élargi, avec le rattachement dans un premier temps de la pédo-psychiatrie de Fécamp et Lillebonne, puis de la psychiatrie adulte de ces deux villes. A noter que la sociologie défavorisée de Fécamp aurait justifié la permanence d'une psychiatrie de proximité, dont les habitants ne bénéficieront plus.

    A cela s'ajoute l'imprévoyance volontaire de l'état lors de la construction de la nouvelle prison à Saint-Aubin-Routot, qui regroupe presque trois fois plus de personnes incarcérées que l'ancienne prison "Danton", ainsi qu'un quartier "mineurs". Une telle concentration aurait justifié la création d'une unité de soins dédiée, construite et conçue en fonction de la mission à remplir, à savoir l'organisation de soins pour des personnes hospitalisées sous contrainte, et donc avec des moyens humains spécifiques pour mettre en œuvre cette organisation de soins. Or cela n'a pas été prévu car trop coûteux. Prétexte : l'ouverture de l'Unité Hospitalière Spécialement Aménagée (UHSA) de Lille-Seclin qui pourtant ne propose que 60 lits pour tout le nord et l'ouest de la France !

    Cette absence d'unité dédiée s'est finalement avérée impraticable. Les autorité ont dû ouvrir une unité d'hospitalisation "normale" (l'actuelle unité Féroé de Janet, qui est de fait une annexe des urgences psychiatriques), sans les moyens accordées aux unités dédiées, sans personnel formé à cet effet. Les risques sont tels, tant pour le personnel que pour une grande partie des patients qui y sont hospitalisés, qu'aujourd'hui c'est le personnel qui demande la fermeture de cette structure ! On se rappelle qu'en mars 2015, un détenu qui voulait s'enfuir avait agressé une aide soignante avec une lame de rasoir.

    L'objectif de la direction de l'hôpital est  à terme de fermer 40 lits sur 5 ans à Pierre-Janet, alors que 30 lits supplémentaires sont ouverts en permanence ! C'est un non-sens !

    En hôpital de jour, ce sont aujourd'hui 80 patients par jour qui sont reçus au lieu de 30 habituellement, dans des locaux évidemment inadaptés (des gens se battent pour avoir un fauteuil où pouvoir s'asseoir !)

    Le personnel de Pierre Janet réclament depuis 5 ans 20 postes supplémentaires !

    Handicap :

    Le processus de fusion déjà en œuvre entre Denis Cordonnier et les Ateliers de Bléville, va se poursuivre avec l'absorption de Jules Guesde, au sein de l'Etablissement Public Autonome (EPA) Helen Keller.

    Pédo-Psychiatrie :

    Il y a un manque de médecins. Le recrutement récent d'une praticienne universitaire, qui devait "booster" le pôle, n'a pas eu l'effet escompté. Les antennes de Caucriauville et de Montivilliers sont prêtes à fermer, ce qui limitera d'autant l'accès aux soins de ces populations. L'idée étant de tout transférer à Flaubert.

     

    crédits :

    carte 1 : d'après des données de l'Observatoire des Territoires du Commissariat général à l'égalité des territoires - 2014. Source : Le lien - Bulletin de l'Union syndicale des Retraités CGT de Seine-maritime

    photo : France Bleue

     

     

    « Bravo au CRIF !Je ne comprends plus rien ! »
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  • Commentaires

    1
    Jean Louis
    Samedi 31 Mars 2018 à 14:09

    Le centre hospitalier du rouvray (hôpital psychiatrique) est également en grève. Dans chaque service des lits de camp ont été installés (35 en tout), sans aucun moyen en personnel . Une enquête indépendante montre qu'il faudrait 55 personnes en plus. A ce jour la direction en propose 5! Les patients en service fermé doivent être accompagné y compris pour sortir fumer une cigarette, mais aussi pour faire des radios au CHU, des démarches au tribunal (même si maintenant il y a une antenne du tribunal à l'intérieur de l'hôpital)...C'est aussi une présence 24h/24, 7 jours sur 7 ( à la différence de la célèbre pizzeria ouverte 7 jours sur 7, sauf le lundi et sans discontinuer de 10h à 22h!

     

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