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En guise de manif : 1er mai, rappel historique
Pas de manif aujourd'hui, confinement oblige. Alors juste un petit article en guise de rappel historique de ce que représente le 1er mai. Certain-e-s d'entre vous, sans doute la plupart, le savent déjà. Mais le rappeler ne fait jamais de mal. C'est ce qu'on m'a appris quand j'étais encore enseignant, il y a tout juste un mois !
Et pour commencer, parlons un peu de ce symbole du 1er mai : le muguet.
Comment ça, qu'entends-je ? ce n'est pas le muguet le symbole du 1er mai ? On nous aurait donc menti tout ce temps ? Impossible. Et pourtant...
Le 1er mai 1891, à Fourmies, dans le Nord, une manifestation est prévue à 10h : les ouvrières et ouvriers des filatures doivent aller porter leurs revendications au maire, puis un pique-nique est organisé, car il fait beau ce jour-là. C'est le printemps.
Pourquoi le 1er mai ? Tout simplement parce que les revendications portaient ce jour-là sur la journée de 8 heures, et c'est le 1er mai 1886 que débute la grande grève des travailleur-euse-s de Chicago pour réclamer, justement, la journée de 8 heures. Cette grève culminera par le massacre de Haymarket, et le 1er mai sera officiellement choisie comme journée de revendication des travailleurs, par le congrès de Paris de la 2ème internationale, en 1889.
Nous sommes donc deux ans plus tard, tout naturellement un premier mai. Des festivités sont prévues l'après-midi et un bal le soir pour clôturer la journée. Plus que comme journée de revendications, cette journée était voulue par les ouvrières et ouvriers de Fourmies pour imposer le 1er mai comme jour férié. La veille, les patrons avaient fait apposer des affiches indiquant que tous les patrons textiles s'étaient mis d'accord que le 1er mai serait une journée travaillée comme les autres. Obtenir pareil accord, ce n'est pas très dur ! D'autant que le maire de la commune, ainsi que le conseiller général étaient tous deux des patrons de filatures.
Dès le matin, les choses ne s'étaient pas passées comme prévu, car 3 compagnies d'infanterie étaient sur place (environ 420 hommes) et un ouvrier du piquet de grève fut arrêté. Le maire promet aux manifestant-e-s venu-e-s remettre leurs doléances, qu'il sera libéré à 17h00.
L'ambiance n'est plus à la fête, d'autant que deux compagnies supplémentaires viennent d'arriver en train. Soit 600 militaires sur place. à 18h15, 300 manifestants font face à 30 soldats, le nouveau fusil Lebel (qui peut tirer 9 balles rapidement) à la main. Les manifestants appellent les soldats à la fraternisation. Puis l'atmosphère se tend : ce sont des cailloux et des insultes qui volent sur les soldats. La foule pousse, malgré des salves tirées en l'air. Le commandant ordonne alors de mettre la baïonnette au canon. Pour la mettre au bout du canon, les soldats doivent reculer, ce qui est interprété par la foule comme une victoire.
Kléber Giloteaux, rattacheur(1), qui portait un drapeau tricolore endeuillé d'une cravate noire s'avance alors : "Vive la grève, vive l'armée".
Le commandant Chapus ordonne alors le tir. Kléber Giloteaux sera le premier mort à tomber ce jour-là, immédiatement suivi par 9 autres ouvriers et ouvrières.
Parmi elles, Emelie Blondeau, 18 ans, et son amie, Louise Hublet, 20 ans, qui avaient revêtu leur plus belle robe pour le bal, portaient un bouquet d'aubépines.
L'aubépine devint donc pendant plusieurs années le symbole des luttes du premier mai. De par sa couleur, elle rappelle le triangle rouge, arboré par les ouvriers de Chicago, dont les trois côtés symbolisaient la division de la journée en 3 fois 8h. Elle sera parfois remplacée par l'églantine, rouge également, en référence à Fabre d’Églantine, révolutionnaire du club des cordeliers, auteur du calendrier révolutionnaire, guillotiné avec Danton en 1794 et qui, déjà à cette époque, proposait une "journée du travail" le 26 avril.
Que devient le muguet dans toute cette histoire ?
Hé bien c'est simple : jamais le muguet n'a été le symbole des luttes ouvrières. Il se trouve que cette fleur, certes jolie et odorante, pousse souvent à cette période et elle est associée au bonheur, de par la renaissance du printemps.
Lorsque Philippe Pétain décide en 1941 de remplacer le vocable "fête des travailleurs" par "fête du travail" (famille, patrie), il en profite pour remplacer l'aubépine ou l'églantine, un peu trop rouge à son goût, par le muguet.
En vendant du muguet dans les manifs du 1er mai, on ne fait rien de moins que perpétuer l'héritage pétainiste. Excusez-moi ce coup de gueule, même s'il ne plait pas à tout le monde.
125, 126, 130...
Non, ce n'est pas le tirage du loto FDJ privatisé, c'est l'hommage que je veux faire aujourd'hui à Kléber Giloteaux, Louise Hublet et Emelie Blondeau, les martyrs du 1er mai de Fourmies.
Ces trois nombres, froids et sans âme, sont les numéros d'enregistrement de leurs actes de décès sur les registres de la commune de Fourmies. Les dix actes des dix morts du 1er mai 1891 sont là, à la suite les uns des autres, comme en manifestation. Comme je ne peux pas manifester aujourd'hui, je rends hommage à ces trois enfants tombés pour nous, en reproduisant ici leurs actes de décès, la seule chose qui pourrait rester d'eux et elles si nous ne prenons pas garde à honorer en permanence leur mémoire. Merci aux Archives Départementales du Nord.
Ajoutons pour finir, pour la petite histoire, que Kléber et Emelie étaient "fiancés". Une chanson, plus très jeune, leur rend hommage. Même si la musique n'est plus trop en phase avec notre époque, il n'est pas inutile de l'écouter :
(1) ouvrier, en général de petite taille pour pouvoir passer sous les machines à tisser, qui rattache les fils rompus.
« Le Medef veut la guerre socialeNon à la mise en danger des travailleurs, enseignants, enfants au nom du profit ! »
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Commentaires
toujours aussi bon dans la narration, en mêlant tragédie et romantisme.
Je n'aime pas le muguet, je n'en fait pas pousser dans le jardin, n'en achète jamais.
Pour moi, le muguet n'est pas Pétain (je l'ignorais) mais le PC qui ne sent ni bon ni n'est beau.