-
La poudrière d'Orient
C'était un ouvrage en 4 tomes du regretté Pierre Miquel. Ce roman racontait la campagne d'Orient de la première guerre mondiale, des Dardanelles à Salonique, les combats dans les montagnes grecques et bulgares.
Aujourd'hui, on pourrait réutiliser le même titre pour écrire une toute autre histoire, mais tout aussi dramatique, et tout aussi explosive et porteuse de guerre, non seulement au Moyen-Orient (ce qui, même si ça se passe "loin", doit de toute manière nous interpeller) mais dans le monde entier, car, comme au bon vieux temps de la guerre froide, les États-Unis et la Russie se livrent là une guerre chaude, sans même se cacher.
Essayons de récapituler, même si cet article n'a pas la prétention d'être exhaustif :
Syrie : tellement de choses ont été dites sur la guerre en Syrie, la révolution avortée et ses conséquences désastreuses. Au Havre, nous sommes depuis longtemps investis dans le soutien au peuple Syrien. De nombreuses fois, nous vous avons tenus informés de ce qui se passait là bas, que ce soit sur ce blog, sur celui d'Ensemble Le Havre ou sur le facebook du Collectif Solidarité Syrie. Mais aujourd'hui, les média, comme ce matin sur France Inter où Nicolas Demorand parlait d'une étonnante "reprise" des combats, font semblant de s'étonner que la région d'Idlib soit à nouveau bombardée alors qu'ils clamaient tous, après Baghouz, que la guerre était terminée. Il y certes à Idlib des djihadistes (environ 2000), mais il y a surtout 3 millions de civils, dont la moitié est constituée des déplacés qui ont déjà fui leurs villes dévastées (Homs, Alep,...). A Idlib, ce sont la Russie et la Turquie qui jouent à un jeu malsain : chacun des deux voulant détruire "ses" terroristes : pour la Russie et pour Bachar, il s'agit d'en terminer avec la révolution, et donc détruire ce qui reste du Front de Libération National, de l'Armée Syrienne Libre et des Forces Démocratiques Syriennes. Pour la Turquie, les "terroristes" sont principalement les forces kurdes du YPG, branche armée du PKK, qu'elle refuse de voir s'installer à ses frontières. Les djihadistes servent ici de prétexte, et les civils d'otages.
Turquie : à l'extérieur, on vient de le dire, Erdogan combat le PKK, son ennemi de toujours. A l'intérieur, outre le PKK, il combat sans relâche le HDP (Parti Démocratique des Peuples, issu du mouvement Kurde) dont 26 000 militant-e-s sont encore emprisonné-e-s après les vagues de purge de 2018. Le peuple Kurde, dont l'armée a fourni le gros de l'effort militaire contre Daech en Syrie et en Irak, avec la bénédiction de la coalition occidentale, doit s'attendre, lorsque la province d'Idlib aura été détruite, à subir un assaut de la Turquie, et il probable alors que ni la Russie ni les Occidentaux ne lèveront le petit doigt. Toute la politique d'Erdogan actuellement vise à museler son opposition interne pour avoir ensuite les mains libres à l'extérieur.
Gaza et Palestine : Là encore, la situation est catastrophique, et ce depuis de nombreuses années. La population est soumise à un blocus drastique. La reconnaissance par Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël, reconnaissance à laquelle de nombreux pays ont emboité le pas, et la réélection de Netanyahu ne peuvent qu'empirer encore la situation : Netanyahu n'a t-il pas promis à ses électeurs qu'il annexerait les colonies Israéliennes, actuellement dans des secteurs théoriquement sous autorité Palestinienne ? Ce serait entériner la colonisation et reconnaitre la souveraineté d'Israël sur les territoires occupés. Évidemment inacceptable pour les Palestiniens et les Gazaoui. Bien sûr, comme tous les pays soi-disant démocratiques mais en fait autocrates, pour ne pas dire plus, les prisons Israéliennes comptent 5450 prisonnier-e-s politiques Palestinien-ne-s.
Yémen : J'avoue, à ma grande honte, n'avoir pas réellement suivi les débuts du conflit au Yémen. Tout le monde sait qu'il y a un conflit entre les "loyalistes" et les "rebelles" Houthistes. On constatera à nouveau que l'utilisation du mot "rebelle" sous-entend que ce seraient là les "méchants". Je serais bien présomptueux si je devais prendre parti ici, car mes connaissances ne sont que parcellaires. Mais l'origine du conflit est à chercher dans la réunification en 1990 entre le Yémen du Nord, majoritairement islamiste, et le Yémen du Sud, au gouvernement marxiste. Cette réunification ratée (le Yémen du Sud tentera à nouveau de reprendre son indépendance 4 ans plus tard) a laissé des pans entiers de la population sur le bord de la route, fabriquant des frustrations qui donneront naissance au conflit en 2014. Ajoutons à cela des luttes d'influence entre l'Iran et L'arabie Saoudite, ainsi qu'une industrie pétrolière, certes petite mais ayant encore son importance, et nous avons tous les ingrédients d'une guerre qui, comme toutes les guerres du XXIème siècle, prend pour cible les civils. La famine qui règne aujourd'hui au Yémen est, selon de nombreuses ONG, la pire catastrophe humanitaire au monde actuellement. Il faut savoir que les cibles des bombardements de la coalition qui soutient le gouvernement sont les objectifs militaires, bien sûr, puis les zones d'habitation (civils) et en troisième position les zones agricoles et l'approvisionnement en nourriture du pays. C'est une véritable stratégie de la famine qui est mise en oeuvre par l'Arabie Saoudite et la coalition dans laquelle on retrouve (ne les oublions pas) : les Emirats Arabes Unis, le Bahrein, la Jordanie, le Maroc, le Qatar, l'Egypte, le Koweit et le Soudan (au moins jusqu'à la révolution des semaines dernières). Ne retrouve t-on pas là de nombreux pays avec lesquels la France est amie ?
Cela nous amène naturellement à la livraison d'armes à l'Arabie Saoudite par la France. livraison dénoncée par le site Disclose, et dénoncée également à l'Assemblée Nationale par le député PCF Jean-Paul Lecoq. Après avoir nié les livraisons d'armes, la ministre des armées l'a enfin admise, mais il s'agit "d'un contrat commercial normal entre pays amis", et la secrétaire d'état auprès de la ministre, Geneviève Darrieussecq, a eu à l'assemblée cette réponse surréaliste : "nous n'avons pas la preuve que nos armes servent contre des civils". Ben voyons ! Il faudra bientôt faire signer une décharge aux morts écrasés sous les bombes, certifiant que non, l'obus n'était pas "made in France" (attention au code barre !). Quelle femme cynique et stupide !
Cette guerre au Yémen et ses conséquences doivent devenir pour nous, organisations politiques et citoyen-ne-s progressistes, une priorité ! Car elle est, outre son caractère insupportable puisqu'un enfant Yéménite meurt toutes les dix minutes, soit de faim, de maladie, ou sous les obus, elle est, disais-je, avec tous les autres conflits de la région, un des éléments qui pourrait mener à une déflagration généralisée impliquant les plus grosses puissances mondiales.
Iran : Loin de moi l'idée de faire de l'Iran un pays "idéal", loin s'en faut. Mais les politiques d'embargo ou de blocus n'ont jamais porté leurs fruits car ce sont là encore les populations qui en font les frais, et les gouvernements soumis aux embargos ont beau jeu de se désigner ensuite, sur le plan intérieur, comme victimes. Je serais bien outrecuidant si je m'estimais compétent pour dire "oui, ou non, l'Iran veut avoir une bombe atomique". Mais ce que je me permets de dire, c'est que l'escalade actuelle, avec la présence de portes-avions et de bombardiers américains dans la zone, n'est pas une bonne nouvelle, car l'Iran n'est pas une petite puissance avec laquelle on peut prétendre jouer impunément. Selon des "experts", un "accrochage" entre l'Iran et les USA semble inévitable... Et n'oublions pas que l'Iran est, avec les Russes, un allié de Bachar-Al-Assad...
Tout est réuni donc pour un conflit mondialisé. Dans tous les pays, et évidemment en Europe, les partis, mouvements, et associations de gauche doivent se mobiliser sur ces questions. Alors que nous sommes aujourd'hui (théoriquement) au cœur d'une campagne électorale européenne, ces questions devraient être centrales, car la survie des peuples européens n'est évidemment pas dissociée de celle des peuples du Moyen-Orient. Au boulot !
-
Commentaires